Sans masque ni servitude

Sans masque ni servitude

Parfois, je me dis que j’aimerais revenir à des temps plus simples… Un temps où… rien…

La vérité c’est que je grandi, je vieilli et ça fait depuis l’âge de 15 ans que j’essaye de mettre ma vie sur les rails… et que je n’y arrive pas… 20 ans que j’essaye de trouver ma voie, que je tente des choses qui ne marchent pas forcément et que je ne sais pas vraiment pourquoi… On est en 2025, j’ai 35 ans… Et cette année, j’ai été mise plus à mal que ce que j’aurais pu imaginer pouvoir supporter un jour… Pourtant, j’en ai largement chié par le passé… Non pas que je me plaigne car personne n’a le monopole de la souffrance. Les épreuves que l’on subit sont à l’échelle de notre environnement, des circonstances desquelles nous sommes issues ainsi que des privilèges dont nous bénéficions.

En thérapie, on parle de TDAH, d’autisme à haut niveau de fonctionnement, de dissociation et de masking. Cette capacité à cacher sa neurodivergence pour mieux s’intégrer dans une société pensée pour et par les neurotypiques. Ça fait un moment qu’on a mis au jour ma neurodivergence, toutefois il reste à mettre en lumière où est-ce que je me trouve précisément sur le spectre.

Pour être honnête, l’annonce du TDAH et de l’autisme ne m’a pas secoué plus que ça… Cela ne m’évoque tout simplement rien. Car je suis incapable de me sentir différemment que telle que je suis. Mon cerveau fonctionne selon ses propres règles/schémas… Et je ne sais pas ce que c’est qu’il en soit autrement. En revanche, je connais mes limitations et je sais aussi qu’on ne peut pas mener une vie sereine dans un monde carré (qui ne fera absolument rien pour vous accommoder), sans adopter des stratégies qui permettent de naviguer plus ou moins incognito.

Bien présenté, bien parlé, être efficace, être productif, ne pas défier l’autorité, dire amen pour ainsi dire à tout et surtout merci. J’apprends, je m’adapte et je fournis les efforts au prix d’une brutalité avant tout dirigée contre moi-même. J’ai cette hyperacuité quant au fait qu’il en va de ma survie économique et sociale. Ce que j’entends par là, c’est que pour avoir un toit sur la tête, du pain sur la table et les factures payées à peu près en temps et en heure, il faut travailler. De même que pour cela, il faut pouvoir se fondre dans la masse, éteindre les couleurs dans sa tête, détourner le regard lorsque l’on observe des manquements terribles et garder le silence face aux absurdités perpétrées autour de nous… Pour se fondre dans la masse, d’où l’aspect social.

En revanche, c’est comme une bombe à retardement. Vous signez pour un contrat d’un minimum de 40 heures par semaine. On vous remet ou pas, un cahier des charges. La dite charge doit être accomplie sur ce laps de temps. Si vous êtes efficaces, vous êtes récompensés par plus de travail, sans changement de titre ou gratification financière. Le tout sur le même horaire, ce qui immanquablement vous sabotera et conduira à une baisse de performance. Et si votre ouvrage n’est pas achevable sur le temps imparti, peu importe la raison; la porte d’entrée deviendra la porte de sortie.

Puis il y a les autres facteurs dont il faut tenir compte car bien que vous signiez avec l’entreprise, vient avec le packaging collègues dont vous ne savez rien. Mais avec qui contractuellement vous êtes obligés d’entretenir, tant que faire se peut de bonnes relations. Pour la cohésion d’équipe et faire en sorte que l’on s’affaire tous à œuvrer pour les mêmes intérêts, ceux de la boîte. Qu’importe la politique interne, les objectifs fallacieux, le manque de remise en question, les coups de pression, les chantages, les connivences hiérarchiques, etc.

Le monde du travail et principalement celui du secteur tertiaire puisque c’est celui que je connais le plus intimement, n’est pas un milieu où la raisonnabilité et la bienveillance sont les premiers commandements. Ce, peu importe que l’entreprise soit du domaine privé au public.

Le fait est que, pour mon plus grand malheur et celui de mes employeurs, je vois tout, j’entends tout, je remarque tout… La faute à un instinct de survie aiguisé par les années où il m’a fallu survivre et m’adapter dans des environnements où les abus verbaux, parfois physiques et les humiliations étaient mon lot quasi quotidien. Observer les sautes d’humeurs, les crispations mal dissimulées, les frustrations prêtes à se cristalliser et se traduire en violences diverses, c’est une seconde nature.

Une fois que mon cerveau a fait l’inventaire de toutes les dissonances et diverses problématiques, j’essaye tant bien que mal de faire le tri. Au mieux, je fais mes heures, j’encaisse mon chèque à la fin du mois et je me tiens à bonne distance des éléments de tensions. Au pire, si ce que j’ai catalogué est en contradiction profonde avec mon échelle de valeur ou mes principes, aller au travail et me taire revient à me frotter chaque jour le corps avec une éponge en paille de fer.

À partir de là, c’est une course contre la montre… ou plutôt contre l’implosion… Et je me pose la même série de questions… Combien de temps avant que je ne me laisse déborder ? Combien de temps avant que ma langue se délie et que je finisse par dire ce que je pense ? Combien de temps avant qu’aller au travail ne devienne une source d’angoisses quotidiennes ? Combien de temps avant que le syndrome de l’imposteur frappe à la porte et que je tente par tous les moyens de rationaliser au possible afin que ce soit de ma faute ?

Certes, la dernière réflexion en surprendra plus d’un… Car si c’est de ma faute, c’est sous mon contrôle. Et l’illusion de contrôle, vous tient par la croyance que vous pouvez changer les choses. Alors que ce n’est pas vous le problème mais bien celui d’un système vorace prêt à sacrifier l’âme ainsi que la santé des collaborateurs sur l’autel de la productivité, du profit ou encore de l’économie.

Je ne sais combien de fois, par besoin de prouver ma valeur, j’ai succombé aux sirènes de ma hiérarchie en acceptant à peu près tout et n’importe quoi. Simplement parce que je suis quelqu’un de capable et parce que je ne sais pas dire non ou fixer de limites. Mais aussi par crainte de déplaire et/ou d’être prise à partie lors des évaluations annuelles. Rien de tel pour tenir les chiens en laisse que la perspective d’une entrevue entre quatre yeux ou plus. Où l’objectif est avant tout de bien vous rappeler la place que vous occupez et la précarité de cette dernière. D’autant plus que de nos jours, un CDI n’a de valeur que la foi que vous avez en ce dernier. Alors que l’employeur peut vous virer sans avoir à en justifier, pour autant que le délai de congé soit respecté.

Par les temps qui courent, les employés sont quantité négligeable puisque le contexte économique est à la faveur de ceux qui ont besoin de chair à canon. Alors certes, certains diront que les entreprises, lorsqu’elles embauchent quelqu’un, prennent un pari risqué car ce sont des ressources qu’elles investissent. À ceci, je répondrai simplement que le jour où les managers seront capables de faire le job de ceux qu’ils encadrent et qu’ils ne délègueront pas la formation des nouveaux employés à leurs subalternes… je ferai mine de revoir ma copie.

A l’heure actuelle, le vrai problème des entreprises, en plus de ce qu’on a énoncé jusqu’à présent, c’est la perte des connaissances. Combien de fois m’a-t-on demandé de corriger, adapter ou carrément créer un processus, soit parce que ces derniers étaient obsolètes, soit parce que ces derniers n’existaient tout simplement pas. Ce qui m’exaspère, puisque ce ne devrait pas être de la responsabilité des collaborateurs que de s’employer à endiguer l’hémorragie de savoir-faire due au turn over au sein de leur société.

Bref, ce sont là mes expériences, mes griefs et mon ras-le-bol qui, à n’en pas douter, feront échos chez beaucoup d’entre vous. Tandis que d’autres mettront ce qui précède sur le compte de l’onanisme intellectuel.

Quel lien donc me direz-vous avec le fait que mon TDAH ou mon autisme, qui reste à définir, viennent faire là-dedans ? C’est bien simple, si on ne peut pas changer les règles du jeu, si les joueurs sont interchangeables mais finalement les mêmes, je me sais condamnée à un bis repetita sans fin d’aller-retour entre emploi et non emploi.

J’ai été éduquée dans l’idée que « il n’y a qu’un chemin et c’est tout droit »… Aussi, à 35 ans, je vais enfin m’autoriser à faire ce que je n’ai jamais fait jusqu’à présent… Arrêter de faire… Et commencer à être… définitivement autre chose que ce que je n’ai été jusqu’à présent.

Einstein disait que la folie réside dans le fait de répéter les mêmes actions et de s’attendre à un résultat différent.

Il est donc plus que temps d’apprendre… à nouveau et autrement.

Afin de construire un avenir et une vie qui ne soient pas une boucle temporelle infernale, soumis à la machine avide d’un monde malade. Sans en épouser la logique du « plaire, prouver, bien faire », cette forme de servitude déguisée en vertu. Pour un système qui ne me reconnaîtra ni ne me verra jamais vraiment, pas plus qu’il ne le fera pour ceux qui, comme moi ou non, se trouvent sur le spectre.

Car aujourd’hui, se construire un microcosme à soi où l’on peut exister pleinement, sans avoir à prétendre être quelqu’un ou quelque chose que l’on n’est pas, est une forme de rébellion. C’est même, sans doute, la meilleure des défenses contre l’aliénation d’une société qui va de plus en plus vite et qui en demande toujours davantage, par pure appétence pour l’assimilation et l’homogénéité.